Lettre Pastorale des Évêques du Sénégal sur les migrants et les réfugiés

« L’étranger qui réside avec vous sera pour vous comme un compatriote et tu l’aimeras comme toi-­‐même… » (Lévitique 19,34)

  1. Les naufrages de pirogues et les nombreuses disparitions qu’ils entraînent ont envahi, depuis de longues années, nos médias, télévisions et réseaux sociaux. Ils se font sans cesse l’écho de ces populations en mobilité, chassées par la misère, en quête d’une vie meilleure ou obligées de partir de leur région à cause des conflits ou des guerres civiles. Et que dire de ces milliers de jeunes africains, partant vers des terres dites d’espoir pour se forger un projet de vie, ou encore de ces départs organisés pour monnayer leur force de travail ? Ce sont là autant de trajectoires collectives et singulières qui révèlent la réalité des migrations dans toute son épaisseur et sa complexité.
    Chapitre 1 : Un drame sous nos yeux
  2. C’est un véritable drame qui se joue sur les routes migratoires de l’océan et du désert. Il entraine des pertes en vies, avec des traitements inhumains et dégradants : pratiques de traite, marchandisation, trafics en tous genres, et même réduction à l’esclavage, comme s’il ne s’agissait pas d’êtres humains. Le rejet, les vexations, les humiliations et la xénophobie sont le lot quotidien de nombreux migrants dans les pays de transit. Beaucoup d’entre eux y ont été les victimes de passeurs sans scrupules et autres marchands d’illusions, non seulement insensibles à la misère d’autrui, mais aussi capables de l’exploiter à des fins mercantiles. Cette traite d’un genre nouveau conduit les migrants, de manière inexorable, vers la déshumanisation, voire la mort.Même s’ils ont survécu et sont arrivés à destination, ils ne sont pas encore au bout de leur peine. En effet, de nombreux migrants sont, une nouvelle fois et très souvent, victimes de la discrimination, de l’exploitation, de la peur et de l’insécurité. Ils ne sont pas désirés et sont soumis à des conditions de vie indignes et inhumaines. Tout cela est inacceptable !
  3. C’est notre jeunesse qui est au cœur de ce drame. En effet, ainsi que l’a exprimé l’Assemblée synodale sur les jeunes, le phénomène migratoire est un « paradigme de notre temps » en tant que phénomène structurel, et non pas comme une urgence transitoire.[1] De nombreux migrants sont des jeunes ou des mineurs non accompagnés, qui fuient des guerres, des violences, des persécutions politiques ou religieuses, des catastrophes naturelles, ou la pauvreté, et finissent par devenir victimes de la traite, de la drogue, d’abus psychologiques et physiques.
    [1] Cf. Christus vivit N° 91
  4. Il n’est pas possible d’évoquer la question migratoire sans s’arrêter en particulier sur les migrations africainesL’immigration subsaharienne, en effet, surtout de l’Afrique de l’ouest, est devenue une préoccupation majeure en Europe. Les images de migrants tentant de passer les hauts barbelés des enclaves de Melilla et Ceuta, celles de pirogues bariolées échouant aux environs de Lampedusa, par exemple, ont fortement marqué l’opinion publique, au point de faire croire à une « invasion africaine ». Il se renforce ainsi une polarisation de la politique européenne sur le contrôle sélectif de la migration en Europe.
    De fait, les migrations subsahariennes sont un sujet paradoxal en Europe. Quoiqu’elles ne représentent qu’une petite partie de la totalité des flux et des contingents de migrants, elles sont au cœur du débat public. Or, pour le rappeler, la réalité des migrations africaines se joue principalement sur le continent avec plusieurs millions d’Africains qui ont émigré, quittant leur pays pour s’installer durablement dans un autre pays de l’Afrique, et seulement un nombre infime qui se dirige vers l’Europe. Ainsi donc, le phénomène migratoire est devenu un sujet de polarisation qui détourne l’attention de la souffrance des migrants, par la manipulation, l’indifférence et la désinformation.
    Chapitre 2 : Au nom de notre responsabilité de Pasteurs
  5. Des jeunes du Sénégal font partie de ces nombreux migrants en quête de plus d’opportunités, en Afrique, en Occident ou ailleurs. Ils avaient quitté des situations de précarité ou de détresse. Ils peuvent se retrouver victimes de la désillusion, ou de la violence, ou de l’exploitation, ou de l’exclusion et de toutes sortes d’abus. Éprouvés par la pauvreté et la misère écrasante, ils errent pour trouver accueil et soutien qui puissent les nourrir et leur redonner un peu d’espoir. Ils étaient pourtant partis à la recherche d’une vie digne pour eux et pour leur famille. Leur situation ne peut nous laisser indifférents. Elle nous interpelle tous.
  6. Dans ce contexte, le Sénégal tient une place spécifique en raison de sa position géographique propice au départ, au transit et à l’accueil de migrants. Notre pays, en effet, attire des migrations temporaires grâce à ses bonnes écoles et universités, mais aussi des migrations plus durables grâce à sa stabilité politique et à son ouverture sur les marchés européens[2]. Il est facile d’imaginer que l’exploitation prochaine de ressources naturelles (minières, gazières et pétrolières) en grande quantité attirera davantage de migrants sur notre sol.
  7. Le phénomène migratoire est plus que jamais devenu mondial. Il est un défi pour les États, pour les communautés, pour les familles et pour l’Église. Dès lors, nous ne saurions nous taire devant la souffrance de toutes les personnes migrantes qui en sont victimes.Dans ce message, nous, Évêques du Sénégal, nous inspirant de l’enseignement du Concile Vatican II, entendons exercer notre responsabilité pastorale : « Les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des hommes de ce temps, des pauvres surtout et de tous ceux qui souffrent, sont aussi les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des disciples du Christ, et il n’est rien de vraiment humain qui ne trouve écho dans leur cœur ». [3]Nous sommes conscients des choix et des enjeux politiques qui ont un impact direct sur la vie des personnes, des familles et des communautés. C’est pourquoi, nous voulons interpeler les nations, plus particulièrement la nôtre, les communautés, les familles, pour qu’elles prennent leur responsabilité face au phénomène de la migration et à ses conséquences. Avec force, nous tenons à rappeler à tous le devoir d’être témoins de l’amour de Dieu et du devoir humain de solidarité et de fraternité envers les migrants, victimes de toutes sortes d’abus. Cela doit nous pousser à la réflexion, à l’introspection et à l’action. C’est l’objet de cette Lettre Pastorale. [2] La migration africaine : état des lieux. Novembre 2016, Made et Caritas Sénégal
    Chapitre 3 : Oser voir les graves déséquilibres de notre monde
  8. Prendre la juste mesure de ce qui se joue dans cette période de notre histoire, c’est reconnaître, avec le Pape Benoît XVI, que parmi les résultats des mutations modernes, le phénomène croissant de la mobilité humaine émerge comme un « signe des temps »[4]. Les migrants « sont des hommes et des femmes, des enfants, des jeunes et des personnes âgées qui cherchent un endroit où vivre en paix »[5].Le Saint Pape Paul VI décrivait déjà en ces termes les aspirations des hommes d’aujourd’hui :« être affranchis de la misère, trouver plus sûrement leur subsistance, la santé, un emploi stable ; participer davantage aux responsabilités, hors de toute oppression, à l’abri des situations qui offensent leur dignité d’hommes ; être plus instruits ; en un mot, faire, connaître, et avoir plus, pour être plus »[6].
  9. L’analyse des migrations internationales laisse percevoir, depuis quelques années, de fortes mutations. Le phénomène de la mondialisation, propre à nos sociétés contemporaines, n’est pas seulement un processus socio-­‐économique, mais reflète également une humanité de plus en plus interconnectée, dépassant les frontières géographiques et culturelles. Conséquences souvent des forts déséquilibres du fonctionnement économique mondial, les migrations s’en trouvent ainsi accélérées. Le monde est devenu, en peu de temps, un espace interdépendant de mobilité. Plus aucun pays du monde n’échappe au phénomène. Tous sont devenus pays émetteurs, pays d’accueil ou pays de transit de migrants. Aujourd’hui, les migrations sont majoritairement des migrations Sud-­‐Sud. Si tous les continents sont concernés, l’Asie Centrale et Orientale, l’Europe de l’Est et l’Afrique sont devenues, depuis vingt ans, de nouvelles zones de mobilité majeures.
    [3] Vatican II, Gaudium et Spes, n°14 cf. Message pour la Journée Mondiale du Migrant et du Réfugié 2006 [5] Pape Benoît XVI angélus 15/01/2012
    [6] Populorum progressio, 26 mars 1967, n°6
  10. La plupart des modèles explicatifs de la migration, tant nationale qu’internationale, font du différentiel de rémunération la motivation originelle de toute migration. Or, ce ne sont pas seulement des raisons économiques qui sont à l’origine de la migration. Celle-­‐ci se caractérise par une diversité de natures et de degrés d’intensité. Les facteurs d’intensité, c’est-­‐à-­‐dire l’ensemble des éléments susceptibles d’accentuer ou d’atténuer la pression migratoire, sont divers et variés. On peut citer notamment : les guerres, les conflits entre ethnies, la perméabilité des frontières, les choix politiques, les facteurs économiques, l’évolution des transports, le mythe de l’émigré qui revient avec beaucoup d’argent et les évolutions géopolitiques. A cela s’ajoutent l’insécurité alimentaire et les changements climatiques[7] dans nos pays.
  11. Au niveau international, les différences de dynamisme entre les économies sont un facteur important de migration. En effet, lorsqu’un pays n’offre pas assez de perspective de développement favorable, et ce, quelles que soient les raisons d’ordre économique, politique et social, la propension des personnes à émigrer devient plus forte. Les pays de la Sous-­‐Région par exemple, traditionnellement marqués par de fortes migrations pendulaires Sud/Sud, sont aujourd’hui des zones de départ de migrations de plus en plus lointaines vers le Maghreb et l’Europe, par exemple, mais aussi des lieux de transit pour des migrants et des réfugiés venus d’autres pays d’Afrique.
  12. Les multiples difficultés, endogènes et exogènes, auxquelles les gouvernements locaux sont confrontés pour offrir des perspectives viables d’insertion à la jeunesse, jettent de plus en plus de jeunes désespérés sur les routes de la migration. Nous n’ignorons pas la mauvaise gouvernance et ses conséquences : la corruption, le trafic de drogue dont les saisies massives nous épouvantent, l’enrichissement illicite, l’accaparement des terres, la dévalorisation de l’expertise locale… S’y ajoutent les dispositions des Institutions internationales, et celles de l’Union Européenne qui restructure ses besoins de main d’œuvre, sélectionne et restreint les nouveaux flux de migrants, et verrouille ses frontières. C’est l’avenir de la jeunesse africaine, et sénégalaise en particulier, qui est ainsi compromis.
  13. Il existe d’autres niveaux d’explication. L’analyse des causes de la migration doit aussi interroger la conscience de l’Occident. Car à quoi assistons-­‐nous ? A un développement unipolaire de l’Europe qui s’est tout de même enrichie, en partie, par l’exploitation des pays d’Afrique. Ce qu’on observe encore aujourd’hui, c’est l’exploitation à outrance de nos ressources halieutiques, minières, forestières et culturelles, sans compter la fuite organisée des cerveaux. Nos pays se trouvent impuissants devant le phénomène croissant de l’accaparement des terres, avec le développement de l’agrobusiness qui met en danger les petits producteurs locaux. Et que dire du rôle néfaste des multinationales dans leur recherche effrénée du profit, qui ne permet plus de préserver les économies locales par une régulation adéquate et juste ?
    [7] Cf. Christus Vivit, n°91
  14. Tout ceci est révélateur des paradoxes de notre monde. D’un côté, le progrès technique rapproche le Nord et le Sud, l’Est et l’Ouest, avec une économie mondialisée qui nous rend interdépendants. Notre monde est devenu un village planétaire. De l’autre, il n’a jamais été aussi polarisé, indifférent et égoïste devant la souffrance de ceux qui veulent aussi bénéficier des avantages de la mondialisation en tant que migrants. Leur diabolisation, le rejet dont ils font l’objet, la culture du déchet, le protectionnisme social, culturel et économique de l’Europe et des Etats Unis, et même de certains pays africains, sont révélateurs de l’enfermement des nations et de leur repli sur elles-­‐mêmes.
    Chapitre 4 : A la lumière de la foi, une perspective chrétienne
  15. Nous croyons que Dieu a créé ce monde pour que les hommes y vivent dans une égale dignité, avec une place pour tous à la table du banquet de la vie. Son amour et sa sollicitude pour ses enfants sont tels qu’Il ne tolère ni oppression, ni exclusion : « Il garde à jamais la vérité, il rend justice aux opprimés, il donne aux affamés du pain, Yahvé délie les enchaînés » (Ps 146,7). Le message de l’Écriture est clair. Il invite à traiter l’étranger comme l’un des nôtres, avec égard et respect : « L’immigré qui réside avec vous, parmi vous, sera comme un compatriote, et tu l’aimeras comme toi-­‐même, car vous-­‐mêmes avez été immigrés au pays d’Egypte. Je suis le Seigneur votre Dieu » (Lv 19,34).« L’histoire biblique nous parle du séjour inaugural des patriarches en Canaan, de la migration« aller » de soixante-­‐dix « réfugiés économiques » en Égypte, du temps de l’esclavage, de la migration « retour » d’un grand nombre (l’exode), de la conquête et du partage du territoire, enfin de l’expérience de l’exil. C’est de cette longue mémoire de migrations, volontaires ou forcées, que sont issus les textes législatifs fixant le statut de l’étranger ou de l’émigré en Israël. Le peuple qui a légiféré est un peuple qui confesse : « Mon père était un araméen errant, descendu en Égypte pour y séjourner en immigré » (Dt 26,5) »[8].
  16. La figure du migrant ou de l’étranger présente différents visages du Christ. Le Pape François nous rappelait que « tout immigré qui frappe à notre porte est une occasion de rencontre avec Jésus Christ, qui s’identifie à l’étranger de toute époque accueilli ou rejeté »[9]. Ce faisant, il appelle à l’hospitalité envers les migrants et les réfugiés. Celle-­‐ci trouve racine dans l’évangile de la miséricorde, de la rencontre et de l’accueil de l’autre qui nous relie à la rencontre et à l’accueil du Christ lui-­‐même, présent parmi nous. Dans l’évangile, Jésus, le Christ Seigneur, fait l’expérience d’une vie de réfugié. En effet, l’ange dit à Joseph :« Lève-­‐toi, prends avec toi l’enfant et sa mère, et fuis en Égypte ; et restes-­‐y jusqu’à ce que je te dise. Car Hérode va rechercher l’enfant pour le faire périr » (Mt 2,13).
  17. En cela, la migration devient une chance pour « donner corps » à l’Evangile dans nos communautés chrétiennes, les migrants et les réfugiés étant une grâce pour vivre l’Evangile à travers des actes concrets que nous rappelle encore le Pape François : « Accueillir l’autre exige un engagement concret, une chaîne d’entraide et de bienveillance, une attention vigilante et compréhensive, la gestion responsable de nouvelles situations complexes qui parfois s’ajoutent aux autres problèmes innombrables déjà existants, ainsi que des ressources qui sont toujours limitées. En pratiquant la vertu de prudence, les gouvernements sauront accueillir, promouvoir, protéger et intégrer, en établissant des dispositions pratiques. »[10]
    [8] Daniel Gerber in article La figure de l’étranger ou du migrant dans la Bible, in Revue CONTACTS N°232, p 370.9 Homélie du Pape François pour la La 104ème Journée Mondiale des migrants et réfugiés
  18. La Doctrine Sociale de l’Eglise enseigne le principe de la destination universelle des biens, selon lequel Dieu a créé la terre et ce qu’elle contient à l’usage de tous les hommes, sans exception, selon la règle de la justice, inséparable de la charité11. Elle éclaire encore cette question de sa vision fondamentale de l’homme créé à l’image et à la ressemblance de Dieu. Cet acte fonde et garantit la dignité intrinsèque de tout homme. Il s’applique donc aux personnes migrantes et réfugiées. Or, c’est à cela que viennent contrevenir la peur de l’autre et le refus de reconnaître la différence comme une richesse et une opportunité. En revanche, le souci constant de la préservation du droit de l’étranger, le rappel des commandements de Dieu à pratiquer le droit et la justice, à défendre l’opprimé et l’émigré, garantissent cette volonté du Créateur en faveur de tout homme. Chapitre 5 : Au cœur du drame, des raisons d’espérer
  19. Au cœur des drames humains que peut comporter la migration, des hommes et des femmes nous donnent des raisons d’espérer, notamment à travers leurs initiatives d’accueil, de protection, de promotion et d’intégration des migrants et des réfugiés. Mais les premiers acteurs sont les migrants eux-­‐mêmes. Plus ou moins organisées, selon leur pays d’origine et celui d’accueil, les diasporas de migrants sont, en général, les premiers soutiens et pourvoyeurs d’hospitalité ; elles sont garantes, pour les migrants nouvellement arrivés, d’une intégration sociale, économique et religieuse plus facile.
  20. Malgré les réticences de nombreux États du « Nord », des acteurs à dimension multilatérale commencent à se déployer sur la problématique des migrations. Peu à peu, la migration commence à dépasser le cadre national pour s’inscrire dans des politiques internationales et la discussion sur la libre-­‐mobilité se pose aux quatre coins du monde. Enfin et surtout, plusieurs acteurs de la société civile (associations multiformes, Organisations Non Gouvernementales, réseaux confessionnels, etc.) se mobilisent pour défendre les droits des migrants, aider au vivre-­‐ensemble entre migrants et populations locales, et plaider pour l’amélioration des politiques.
  21. De ce point de vue, l’Eglise catholique n’est pas en reste. Au-­‐delà de son action d’assistance au quotidien des migrants dans les pays d’accueil et de transit, elle a élaboré des stratégies de plaidoyer dans le cadre de la négociation des Pactes Mondiaux sur les migrants et les réfugiés. En effet, « face au vaste mouvement migratoire actuel, le plus important de mémoire récente, l’Eglise ressent la nécessité de poursuivre ce travail de solidarité avec les migrants et lesréfugiés, en coopération avec la communauté internationale »[12]. L’adoption de telles mesures pourrait « protéger la dignité, les droits et les libertés de toutes les personnes actuellement en déplacement, y compris des migrants forcés, des victimes de la traite d’êtres humains, des demandeurs d’asile, des réfugiés et des personnes déplacées à l’intérieur même de leur pays » [13]. La présente campagne « Partager le Chemin » de Caritas Internationalis [14 ] a assurément ouvert des chemins de communion, de rencontre et de solidarité de la part des communautés envers les migrants et réfugiés vivant parmi elles.
    [10] Message de la Journée mondiale de prière pour la paix (13/11/2017)
    [11] Cf. Compendium de la Doctrine sociale de l’Église §171
  22. Au Sénégal, l’Église, fortement mobilisée, joue un rôle important à travers ses Œuvres sociales et ses communautés paroissiales et religieuses, afin de remettre debout des migrants en déshérence sur les routes de la migration. L’expérience de plus de vingt ans à Caritas Dakar du Point d’Accueil pour les Réfugiés et les Immigrés (PARI) parle d’elle-­‐même. Faut-­‐il le rappeler ? La gestion des migrations est adossée à l’engagement de l’Eglise pour la promotion du « droit de rester » et à son attachement au respect du « droit à la mobilité ». Ce combat est encore porté à travers l’activité de Caritas/Sénégal, dont le Plan stratégique 2017-­‐2021 comporte un axe « migrations, droits humains et changement climatique », pour l’amélioration de la gouvernance, par des politiques garantissant la libre circulation des personnes et le respect des droits de l’homme, aussi bien dans les pays de départ qu’au niveau des États de transit et de destination.
  23. Nous, Évêques du Sénégal, en solidarité avec tous ces acteurs qui ont pris fait et cause pour les migrants, voulons affirmer avec force l’urgence de la situation et les décisions politiques, communautaires et humanitaires à prendre, assorties des mesures appropriées, avant qu’il ne soit trop tard. Pour cela, nous voulons que notre message fasse écho à celui du Saint Père, le Pape François : « Du point de vue chrétien, aussi bien dans les phénomènes migratoires, que dans d’autres réalités humaines, se vérifie la tension entre la beauté de la création, marquée par la Grâce et la Rédemption, et le mystère du péché. À la solidarité et à l’accueil, aux gestes fraternels et de compréhension, s’opposent le refus, la discrimination, les trafics de l’exploitation, de la souffrance et de la mort »[15]. Or, pour tous les migrants et réfugiés, l’Église se préoccupe surtout de leur accueil, de leur protection, de leur promotion et de leur intégration.
    Chapitre 6 : Convertir les cœurs et le regard, agir dans l’Eglise et la société
  24. Quand il oppose la compassion, l’accueil et l’intégration à la « mondialisation de l’indifférence », le Pape François pose un regard lucide, juste et courageux sur le drame des naufragés de la migration : « ‘’Où est ton frère ?’’, la voix de son sang crie vers moi, dit Dieu. Ce n’est pas une question adressée aux autres, c’est une question adressée à moi, à toi, à chacun de nous. Ceux-­‐ci parmi nos frères et sœurs cherchaient à sortir de situations difficiles pour trouver un peu de sérénité et de paix ; ils cherchaient un rang meilleur pour eux et pour leurs familles, mais ils ont trouvé la mort. Combien de fois ceux qui cherchent cela ne trouvent pas compréhension, ne trouvent pas accueil, ne trouvent pas solidarité ! »16Il indiquait encore des voies précieuses d’action pour une culture qui puisse surmonter les défiances et les peurs. « Notre réponse commune, dit-­‐il, pourrait s’articuler autour de quatre verbes : accueillir, protéger, promouvoir et intégrer. Je crois que conjuguer ces quatre verbes, à la première personne du singulier et à la première personne du pluriel, représente aujourd’hui un devoir, un devoir à l’égard de frères et sœurs qui, pour des raisons diverses, sont forcés de quitter leur lieu d’origine : un devoir de justice, de civilisation et de solidarité »[17].
    En référence à ce devoir, nous lançons ces appels :
    [12] Saint Siège, Section Migrants et Réfugiés. Apporter une réponse aux réfugiés et aux migrants. Vingt points d’action pastorale, p 1.13 Ibid., p 114 Campagne lancée par Caritas Internationalis « Partager le chemin » (Sept.2017-­‐2020) [15] Pape François, Message pour la 100ème journée mondiale de migrants et refugiés, 24 sept. 2013
  25. Aux communautés chrétiennes et à la société sénégalaise
    Nous, Évêques du Sénégal, demandons : -­‐ Aux Communautés chrétiennes de nos Églises diocésaines, de nos Paroisses, des Communautés Ecclésiales de Base, des Associations et Mouvements, aux communautés religieuses d’encourager les jeunes à aimer leur pays et à s’engager à son développement ; de soutenir leurs initiatives économiques locales, en vue de leur auto-­‐prise en charge, pour leur épanouissement social, culturel, moral, et spirituel. -­‐ Aux familles, de ne pas pousser coûte que coûte les jeunes à la migration. -­‐ A tous, de s’engager résolument auprès des migrants et des réfugiés qui ont choisi de vivre parmi nous. La figure du migrant est la figure du Christ qui frappe à notre porte. C’est un devoir d’hospitalité de l’accueillir, car « dans l’Église, nul n’est étranger et l’Église n’est étrangère à aucun homme ».[18] Vivons la réalité et la vérité de notre« Téranga sénégalaise». Respectons les migrants et réfugiés ; donnons-­‐leur des signes d’espérance. Que nos Caritas aident à vivre cette culture de la rencontre et de l’accueil.
  26. Aux Pouvoirs Publics

Avec respect et considération, nous exhortons les responsables des Pouvoirs Publics, acteurs majeurs et interlocuteurs incontournables des politiques nationales :

-­‐ à poursuivre les politiques prioritaires en faveur des jeunes, pour leur permettre d’exercer leur « droit à rester » dans leur pays et à s’y épanouir au milieu de leurs proches ;

-­‐ à renforcer la formation technique et professionnelle pour la promotion et l’insertion des jeunes dans le tissu économique local ;

-­‐ à continuer la lutte contre le chômage des jeunes, en informant plus largement sur les initiatives prises et les possibilités offertes, et en en facilitant l’accès ;

[16] Pape François, appel à Lampedusa en juillet 2017

[17] Pape François, Discours aux participants au Forum Migrations et paix, 21 février 2017.

[18] Pape Jean Paul II, Message de la Journée mondiale pour les migrants, Juillet 1995

-­‐ à promouvoir et à encadrer davantage les candidats au retour dans notre pays ;

-­‐ à encourager le retour des cerveaux, avec des mesures incitatives ;

Quant aux migrants et aux réfugiés qui vivent dans notre pays, nous encourageons toutes les politiques qui visent à leur offrir des conditions de vie dignes et paisibles.

En outre, nous encourageons le Gouvernement dans ses efforts d’intégration sous régionale et africaine.

28. Aux dirigeants d’Afrique

Nous demandons aux dirigeants africains :

-­‐ de promouvoir une bonne gouvernance de nos États ;

-­‐ de ne pas se contenter de signer les chartes qui régissent et organisent les différentes entités d’intégration (CEDEAO, UA…), mais de les appliquer ;

-­‐ de promouvoir une coopération internationale qui garantisse de véritables et équitables conditions de développement pour tous et pour les générations futures.

29. Aux dirigeants des différents pays de destination

Les migrants, par leurs apports, contribuent de manière significative à la construction et au développement de leur pays d’origine, et même des pays de destination. C’est pourquoi, la migration étant une réalité humaine universelle, nous vous demandons :

-­‐ de mieux accueillir les migrants et réfugiés, notamment les femmes et les enfants, en respectant leur dignité et leurs droits ;

-­‐ de mettre en place des accords de coopération plus justes et équitables avec les pays de départ et de transit, et de les appliquer ;

-­‐ de faciliter l’intégration non discriminatoire des migrants et des réfugiés.

29. Aux jeunes

Chers jeunes, vous êtes au cœur de nos préoccupations. Nous sommes conscients des difficultés que vous rencontrez pour bâtir votre avenir. C’est notre responsabilité à tous d’être à vos côtés et de vous aider à gagner ce combat. Nous vous demandons :

-­‐ de protéger le don de la vie que vous avez reçue ;

-­‐ d’éviter les aventures périlleuses de la migration irrégulière ;

-­‐ de ne pas braver les dangers du désert et des océans ;

-­‐ de vous départir des mirages de l’émigration ;

-­‐ de ne pas prendre vos rêves pour la réalité ;

-­‐ de croire en vous-­‐mêmes et en vos potentialités ;

-­‐ de persévérer dans l’effort pour faire de notre pays et de l’Afrique une terre d’espérance.

CONCLUSION

Pour l’avènement d’un monde plus juste et fraternel, il est de la responsabilité de tous, dans une démarche de solidarité, d’agir ensemble :

-­‐ Contre les causes structurelles de la pauvreté et pour des changements profonds de la gouvernance mondiale ;

-­‐ Contre toutes les formes de traite, de trafic, de mauvais traitements et contre les discriminations ;

-­‐ Pour des mesures en faveur de la mobilité humaine, dans des conditions de sécurité et de légalité.

Nous terminons cette Lettre Pastorale en faisant nôtre cette prière du Pape François :

« Seigneur, tu nous appelles à prendre le chemin de la rencontre, ouvert à l’autre, d’un autre pays, d’une autre culture. Aide-­‐nous à nous mettre en route, ensemble. Imprègne-­‐nous de ta Parole pour que nous puissions donner corps à ton Évangile :

En nous accueillant mutuellement, dans la confiance, car chacun est porteur d’un message de ta part. Cette rencontre nous fera grandir en humanité.

En protégeant ceux qui sont dans le besoin, particulièrement les plus faibles. Leur chair est ta chair !

En promouvant la vie de chaque personne et un vivre-­‐ensemble fondé sur la bienveillance et la reconnaissance mutuelle, terreau du respect, de la fraternité, de la justice, de la paix.

En vivant dans une diversité réconciliée qui permette à chacun de s’intégrer, d’être capable d’apprécier la beauté de ce pays où nous vivons, prêt à en prendre soin et à y apporter la richesse qu’il porte en lui.

Ce n’est pas toujours une voie facile ; elle demande des choix, des dépassements. Mais c’est une voie porteuse de vie et d’espérance qui mène vers ton Royaume. Elle nous invite à cheminer en frères et sœurs, avec Toi à nos côtés. Amen. »[19]

[19] Prière du Pape François, à l’occasion de la journée mondiale du migrant et du réfugié, le 14 janvier 2018.

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