L’heureuse dialectique de la prière chrétienne : « Que ma prière devant Toi… »

La ferveur religieuse qui réchauffe nos familles chrétiennes pour s’étendre sur nos communauté ecclésiales et paroissiales en ce temps béni de carême est celle des grands jours.

De l’imposition des cendres à la fréquentation assidue des sacrements, la pratique religieuse des fidèles catholiques connait, en effet, un renouveau. On recharge les batteries comme qui dirait pour d’avantage affronter les rigueurs d’un monde professionnel tumultueux, d’un quotidien harassant, où les tourments de la vie, la course à la DQ ont fini par déteindre sur notre rapport à Dieu.

Et c’est tant mieux si chaque année, 40 jours de jeûne et de prières intenses permettent de réorienter notre vie, de revenir à notre vocation originelle de créature fragile qui entend résonner en son âme, même au cœur de tribulations, la parole qui fermente l’action apostolique, restaure et procure ce sentiment de quiétude et d’abandon filial : « ma grâce te suffit ! » 2 cor12/9

En effet, si la prière chrétienne garde toujours une efficacité probante, si la supplique du pauvre atteint les entrailles de Dieu et stimule l’espérance de celui qui refuse de mettre sa confiance dans un mortel, c’est parce que fondamentalement elle est la rencontre de deux libertés : Dieu qui nous inspire par son Esprit et qui, le premier, vient vers nous pour nous combler de sa présence sanctifiante, et l’homme qui, par Jésus-Christ, s’adresse à son Père comme s’il réalisait subitement que c’est de Lui et de Lui seul qu’il tient l’être, la croissance et la vie.

Dans cette dialectique heureuse où Dieu ouvre son cœur pour accueillir l’humble supplique de l’orant, l’homme s’introduit progressivement dans une communion trinitaire qui lui fait découvrir, dans la douceur de la brise légère et le silence du cœur, la présence de Dieu à ses côtés, lui donnant non pas ce qu’il veut nécessairement, mais ce qui lui convient. Toujours.

La prière chrétienne, qui s’adresse au Père par le Fils et dans l’Esprit, n’a donc rien d’un cri strident, où bâches et haut-parleurs amplifieraient le décor, ni d’un monologue qui ne laisse place à aucune intériorité ; elle procède de la conviction que nos chants, tel le vacarme des flots, n’ajoutent rien à ce que Dieu est fondamentalement. La prière chrétienne est un acte de confiance suscité par l’Esprit de Dieu lui-même et qui requiert, au titre des dispositions intérieures, humilité et écoute.

Autrement dit, il s’agit de quitter Dieu pour Dieu, selon la formule de François De Sales, de lui présenter nos demandes, d’intercéder pour ceux dont la présence physique ou la mémoire dilatent notre cœur de compassion. Prier, c’est aussi louer le Seigneur de toutes les fibres de son être pour toutes les merveilles qu’il ne cesse d’accomplir dans nos vies et de se convaincre, à travers l’adoration, que de Dieu il n’y a que le Dieu de Jésus-Christ, mort et ressuscité, Lui qui habitait les hymnes d’Israël et qui, à la plénitude des temps, nous a parlé en son fils.

Le temps du carême est donc un temps favorable pour expérimenter cette proximité de Dieu dans la prière, en élargissant celle-ci aux dimensions du monde, surtout en ces temps de pandémie ou de guerre, où nous sommes de plus en plus invités à porter à l’autel du Seigneur les souffrances, les misères et les espérances de nos frères et sœurs malades, orphelins, exilés ou torturés, victimes de l’incurie humaine la plus révoltante.

Dans ces situations existentielles dramatiques, comme dans notre méditation silencieuse en ce temps de carême, devant les atrocités qui affectent notre monde, l’Ukraine, la Russie et bien des parties du globe, nous devons, en Église, joindre l’action à la prière pour faire advenir un monde de paix, de justice et de fraternité. Nos seules forces humaines ne suffisent pas pour arrêter le bruit des canons et la folie meurtrière qui s’empare des tyrans assoiffés de puissance, pas plus que la versatilité morbide d’un virus ne puisse être contenue et éradiquée par les seuls protocoles sanitaires sortis des laboratoires !

Les Pères de l’Église ne se sont d’ailleurs pas trompés quand ils considéraient celle-ci comme un corps (mystique) ayant deux poumons d’une vigueur organique complémentaire : les apostoliques et les contemplatifs.

Puissions-nous donc, en ce temps de grâce que la Providence nous donne pour nous convertir et revenir à Dieu de tout notre cœur, nous laisser transformer par les eucharisties quotidiennes que nous célébrons et, avec Sainte Thérèse de Lisieux, nous convaincre encore une fois qu’il nous faut « toujours prier comme si l’action était inutile et agir comme si la prière était insuffisante ».

Emmanuel DIEDHIOU

Vice-Président du CINPEC

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