Fondamentalisme religieux : un prêtre alerte sur la situation géopolitique au Sénégal

Je suis heureux du dénouement de la crise qui nous a tous préoccupés ces temps derniers, après les propos blasphématoires de l’imam Sall. Sans vouloir y revenir, je voudrais partager quelques éléments de réflexion en termes d’alerte, après avoir suivi attentivement le Dr Cheickh Gueye sur le plateau de la 2STV qu’il a partagé avec Abbé Alphonse Biram Ndour, au cours de l’émission « Tout est là » du vendredi 4 mars 2022 et qui avait pour thème : « Sénégal : les garants de la cohésion sociale ».  Il a souligné à plusieurs reprises de manière réaliste, très respectueuse et sans provocation aucune que malheureusement les crises, comme celle que nous avons connue ces derniers jours, arriveront encore malheureusement.

La situation géopolitique du Sénégal n’est pas isolée du reste du monde. Il convient donc de l’analyser dans le contexte de la situation géopolitique global du monde, ne serait-ce que de façon succincte. Même s’il ne constitue pas le seul critère d’analyse, il mérite d’être pris en compte. C’est le point de départ de notre réflexion qui s’inspire du livre de Samuel P. HUNTINGTON, « Le choc des civilisations », édition Odile Jacob, Paris, 2021.

Selon l’auteur que je paraphrase longuement ici, certains groupes musulmans craignent et déplorent la puissance de l’Occident (et sa civilisation), ainsi que la menace qu’elle constitue (aujourd’hui) pour leur société et leurs croyances. Ils considèrent que la culture occidentale est matérialiste, corrompue, décadente et immorale. Ils la jugent aussi séduisante que la tentation du diable et soulignent combien il est nécessaire de résister à son impact sur leur mode de vie. De plus en plus les musulmans critiquent non le fait que l’Occident adhère à une religion imparfaite, erronée, qui ne serait plus du tout « la religion du livre », mais le fait qu’il n’adhère plus à aucune religion. Aux yeux de ces groupes musulmans, le laïcisme, l’irréligiosité et donc l’immoralisme occidental sont pires que le christianisme qui les a produits, (est-ce vraiment le christianisme qui les a produits ? C’est là qu’il y a confusion entre le christianisme qui se plaint de ce relativisme et de cette laïcisation / sécularisation en désordre et la franc-maçonnerie chez certains).

Pendant la guerre froide, l’adversaire de l’Occident, c’était « le communisme sans Dieu », aujourd’hui, en post guerre froide, pour certains groupes musulmans, c’est désormais « l’Occident sans Dieu » (qu’il faut combattre)[1].

Ce qui est déplorable de ce qui pourrait être le fondement de l’islamisme, c’est qu’il confond encore aujourd’hui la religion chrétienne et la civilisation occidentale qui est bien loin de beaucoup de principes chrétiens que défend l’Église Catholique.

Ainsi, ceux qui en Afrique ou ailleurs sont endoctrinés par ces pensées islamistes, identifient les chrétiens de leur pays respectifs comme les ambassadeurs de la civilisation occidentale, et donc comme des ennemis à mettre hors d’état de nuire par la prise de pouvoir de la vraie civilisation et de la vraie religion.

Ce que nous ne devons pas oublier, c’est que toutes ces pensées islamistes venues, pour beaucoup, d’Arabie Saoudite et d’influence wahhabite n’ont pas seulement les chrétiens comme ennemis, mais tous les autres courants et surtout le soufisme qui est prédominant au Sénégal.

Le wahhabisme est la tendance littéraliste et traditionaliste de l’Islam sunnite (les interprétations du Cheikh Ibrahima Khalil Lô le montrent bien).  Ses traits forts sont la toute-puissance de Dieu dans le Bien et le Mal, la prédétermination, le caractère ancrée de la Parole Divine, l’obéissance inconditionnelle au chef de la Communauté, et ceci même s’il est impie. Les wahhabites affectent une opposition violente contre le chiisme et se déclarent ennemis du soufisme. C’est de cette école juridique et théologique de l’islam qu’émane en général l’islamisme.

Quel serait donc le scénario au Sénégal si jamais les autorités du pays ne sont pas vigilantes et ne mettent pas en place un plan efficace et efficient d’alertes précoces ?

Il faut déjà retenir que les victimes de ces courants qui se manifestent au Sénégal ne seront pas les seuls chrétiens, mais aussi ceux qui acceptent de marcher avec un chrétien portant sa croix, donc ceux qu’ils vont qualifier de faux musulmans.  L’objectif, s’il y en a un, sera pour eux de bannir tous ces hauts-lieux de l’islam soufi du Sénégal et leurs mausolées (Touba, Thivaoune, Camberène, etc.) et prendre le pouvoir politique comme ils l’ont cherché et parfois obtenu dans d’autres pays.

Même s’ils ne réussissent pas à prendre le pouvoir, ils auront alors semé des troubles sans précédent au Sénégal, voire une guerre civile. Et on sait bien que dans toute situation, pire soit-elle, il y aura toujours des personnes, structures ou autres pour en tireront profit. Qui au Sénégal ?

Alors, prenons garde de ne pas être pour ces gens-là des appâts faciles, et de tomber dans leur piège.

S’ils veulent purifier l’islam, ce n’est pas aux chrétiens qu’il faut s’attaquer. Ils comprennent bien qu’ils ne peuvent d’emblée s’attaquer à ceux qu’ils appellent « les mauvais musulmans » de peur d’être lynchés par la grande masse musulmane du pays. Ils préfèrent alors s’attaquer aux chrétiens, « la petite minorité », pour tenter de mobiliser certains musulmans faibles autour d’eux pour les endoctriner avant de les envoyer en pâture.

Ne parlons donc pas de victoire dans ce genre de rapport, et si victoire il devait y avoir.  Notre victoire, c’est celle de l’amour et de la miséricorde en réponse à la haine. Dans l’éventualité où ce n’est pas cette victoire que l’on cherche, il faudra alors accepter que le vaincu d’aujourd’hui cherche à obtenir la victoire demain. C’est ainsi que la porte s’ouvre à l’escalade de la violence.

Est-elle encore d’actualité cette prière de St. François d’Assises ?

Seigneur, fais de moi un instrument de ta paix !
                                   Là où il y a la haine, que je mette l’amour;
                                   Là où il y a l’offense, que je mette le pardon;
                                   Là où il y a le doute, que je mette la foi;
                                    Là où il y a le désespoir, que je mette la confiance;
                                   Là où il y a la tristesse, que je mette la joie;
                                   Là où il y a l’obscurité, que je mette la lumière;
                        O. Maître Divin, que je ne cherche pas tant
                                   D’être consolé que de consoler,
                                   D’être compris que de comprendre,
D’être aimé que d’aimer
                        Car c’est en me donnant que je recevrai ;
                        C’est en pardonnant que je serai pardonné;
                        C’est en mourant que je naîtrai à la vie éternelle.

Faisons toujours nôtre cette prière, car ce n’est ni la violence ni la haine qui vaincront, mais bien l’Amour, cet Amour qui ne croise pas les bras, mais qui agit toujours pour la vie.

Abbé Camille Joseph Gomis

Mars 2022

[1] Samuel P. HUNTINGTON, p.313. Cf aussi Fatima Mernissi, Islam and Democraty (pp. 3,9,8 – 146-147 – 4B-44)

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