Respect, justice, liberté, vérité et honnêteté : des valeurs indispensables pour développer le Sénégal (Abbé Albert Sène)

Dans son discours inaugural de la rentrée académique 2021 de l’Institut Supérieur d’Administration des Entreprises de THIÈS (ISAE-THIÈS), affilié à l’Université Catholique de l’Afrique de l’Ouest (UCAO), mercredi 15 décembre, Abbé Albert Sène, a indiqué le respect, la justice, la liberté, la vérité et l’honnêteté comme des valeurs indispensables au développement du Sénégal. Devant les membres du personnel, les parents, les étudiants et les invités, le Directeur de ISAE-THIÈS a soutenu que « ce ne sont pas d’abord les matières premières ou l’argent qui développent un pays mais des hommes et des femmes de cœur, remplis de valeurs, disciplinés et rigoureux ». Fidespost vous propose l’intégralité de son discours.

Chers invités,

Chers membres du personnel administratif,

Chers professeurs, chers parents,

Chers étudiants

Bienvenue et Merci pour votre présence !

C’est un grand honneur pour moi de prendre la parole à l’occasion de cet amphi de rentrée pour prononcer ce qu’on pourrait appeler le discours inaugural. Mon propos sera centré sur les quelques valeurs humaines indispensables au développement du Sénégal. Notre pays, à l’instar des pays du Tiers-monde, est passé du statut de « pays sous-développé » à « pays en voie de développement ». Mais est-ce que ce changement d’appellation correspond à la réalité ou est-ce juste un élément de langage pour éviter la stigmatisation comme on dit aujourd’hui ? On invoque souvent le taux de croissance (5,5 % cette année selon la Banque mondiale) et l’on dit que les clignotants sont au vert mais est-ce que cela transparaît dans la vie des populations, surtout les plus pauvres ? En tout cas, lorsqu’on interroge les plus anciens d’entre nous, ils vous disent que c’était mieux avant. Mieux avant, du point de vue économique et social. Si nous prenons l’exemple de Thiès, dans les années 1980, il y avait plus d’activités économiques qu’aujourd’hui, avec beaucoup d’usines comme la STS (Société Textile du Sénégal), les Chemins de fer…Depuis lors, toutes ces usines ont fermé ou sont en léthargie. Et notre ville, à l’instar de la plupart des villes du Sénégal, traverse des moments difficiles avec un taux de chômage élevé.

Mais au fait, quelles sont les raisons du sous-développement du Sénégal ? On peut en général dégager des facteurs endogènes et exogènes. Comme facteurs endogènes, nous pouvons d’emblée affirmer que ce sont les Sénégalais eux-mêmes qui sont responsables de leur misère économique et sociale. Lorsque nous regardons notre pays qu’est-ce que nous voyons ? La corruption généralisée et érigée en système (on a l’habitude de dire que  xalis du nu ko liguey, dé nu koy lijanti autrement dit l’argent n’est pas le fruit du travail mais de tractations, de manigances). Comment voulons-nous, avec cette phrase qui influence les mentalités, mettre tout le pays au travail. Il y a quelques phrases de ce genre qui démobilisent fortement, installent des contre-valeurs et brisent tout élan de progrès. Comme lorsqu’on dit : politique fii la yèm (la politique s’arrête ici-bas). Cela signifie qu’on peut tout faire en politique : mentir, voler, tuer…Dieu n’en tiendra pas compte. Donc, la corruption, la gabegie (le train de vie scandaleux de nos gouvernants), le gaspillage lors de nos cérémonies, le « voyez-moi », le népotisme, j’ajouterai l’ethnicisme, le clientélisme, le détournement des deniers publics, l’impunité, le refus du développement (Axel Kabou le disait déjà en 1991), la peur et le fatalisme (ndogal u Yalla la) qui sont source de démission et d’irresponsabilité. Soixante ans après les indépendances, les élites africaines et sénégalaises continuent toujours de se réfugier derrière le manteau de l’esclavage, du colonialisme et de l’impérialisme pour justifier leur retard sur la scène internationale. Il faudrait que nous arrêtions de nous considérer en éternelles victimes pour prendre notre destin en main.

Comme facteurs exogènes, nous avons le schéma de développement importé d’Occident (ce sont les Occidentaux qui dictent les critères de développement et le chemin qui y conduit ; en plus, il ne s’agit que du développement économique. Il n’y a pas que l’économie dans le monde !) ; l’aide publique au développement qui, non seulement est détournée mais continue de nous infantiliser et de nous rendre irresponsables. Et beaucoup d’ONG profitent malheureusement de cette pauvreté pour exister. ; le système économique internationale dans lequel les pays pauvres n’ont pas droit au chapitre : il s’agit des mécanismes économiques et financiers, de la division internationale du travail, du protectionnisme européen, du libre-échange etc.

Lorsqu’on regarde ce tableau, on est tenté de se décourager et de se dire : le développement n’est pas pour le Sénégal. Le tableau est sombre, c’est vrai, mais il y a quelques lueurs d’espoir : la société civile sénégalaise se réveille de plus en plus et est consciente de ses droits, les jeunes sont de mieux en mieux instruits, le monde s’est globalisé rendant possible la démocratisation du savoir et des compétences. Lorsque je vois par exemple combien les jeunes sénégalais sont compétents dans la réparation des téléphones portables les plus sophistiqués, je garde l’espoir que tout n’est pas perdu.

Mais cela ne suffit pas. Les compétences, c’est bien, le savoir, c’est bien mais ils doivent être fondés sur des valeurs, des valeurs humaines solides qui font que l’individu, le pays ne sera pas comme une feuille morte ballotté par le vent. Ce sont les mentalités qui posent problème. Par exemple lorsqu’on voit que la plupart de nos pays ont soit une rébellion soit un terrorisme islamiste qui, le plus souvent, est piloté depuis l’extérieur, on se rend compte qu’il y a quelque chose qui ne va pas. Ce sont des choses impossibles aujourd’hui dans d’autres pays. Je ne peux pas aller aujourd’hui en France par exemple et demander à des Alsaciens de prendre des armes pour tuer d’autres Français, quelles que soient leurs motivations. Pourquoi est-ce possible ici en Afrique ? Et cela ne date pas d’aujourd’hui. C’était la même chose durant l’esclavage : c’était des Africains qui vendaient leurs propres frères aux Européens ou aux Arabes. C’est dire qu’il y a vraiment une nécessité de convertir les mentalités si nous voulons un Sénégal émergent. L’émergence ce n’est pas d’abord construire des autoroutes, des stades, des TER mais c’est reconstruire des Sénégalais. Et cela ne se fait que par les valeurs.

Alors quelles sont ces valeurs indispensables qui nous permettront de nous reconstruire et installeront notre pays sur les rails de l’émergence ? Bien entendu, la liste des valeurs que je vais décliner n’est pas exhaustive mais essentielle pour nous développer et développer notre pays.

D’abord le respect : le respect de soi, des autres et du bien commun. Prenons l’exemple du bien commun (qui, je le rappelle, n’est pas la somme des intérêts individuels mais l’ensemble des conditions sociales qui permettent, tant aux groupes qu’à chacun de leurs membres d’atteindre leur perfection d’une façon plus aisée), qui respecte le bien commun aujourd’hui ? Les deniers publics sont détournés, les ordures sont jetées dans la rue, on barre la route pour organiser des manifestations, on creuse des canalisations sur la route et on ne les répare pas comme il faut…Tant qu’on n’aura pas pris conscience du caractère sacré du bien commun et de la nécessité de le respecter, on aura beau construire des immeubles flambant neufs, des autoroutes et des ponts, cela va se délabrer vite et on va revenir à la case départ. Le respect des autres est également nécessaire pour l’émergence du pays : il y a tellement d’agressions, de vols, de meurtres, d’insultes en particulier sur les réseaux sociaux ; les autorités, les parents, les ainés ne sont plus respectés. Pourtant, c’est une valeur importante dans nos sociétés traditionnelles. Mais on se laisse influencer par d’autres cultures à travers les films où l’on voit un enfant traiter son père de menteur par exemple …Que dire du respect des différences ethniques, religieuses et de sexe ? Cette éducation au respect doit commencer dans les familles, se poursuivre à l’école et se voir dans le comportement de nos dirigeants politiques et religieux. Quand on voit par exemple le comportement de nos députés à l’Assemblée nationale, on se rend compte qu’il y a problème. Nous avons aussi le respect du droit et des règles démocratiques aussi bien par les hommes publics que par les populations, ce qui n’est pas toujours le cas. Il nous faut une vraie pédagogie du respect qui, à mon avis, est la base de toute émergence. Il y a des choses qui se font et d’autres qui ne se font pas. C’est le BA BA de la vie en commun mais on dirait que ce minimum s’est perdu dans notre société. On met en avant son intérêt et l’on est prêt à piétiner les autres et les règles pour y arriver. Le développement est impossible dans ces conditions.

Ensuite la justice : la justice a plusieurs définitions : philosophique, politique, sociale, religieuse…Dans notre cas, elle désigne d’abord le fait de donner à chacun ce qui lui faut et ensuite l’action par laquelle les autorités compétentes font respecter la loi et les droits d’autrui. C’est le Droit, à travers des textes de lois, qui définit les droits et les obligations de chacun pour nous permettre de vivre tous ensemble. Pour cela, chaque citoyen doit respecter ces règles sous peine d’être sanctionné. C’est pourquoi, sous le contrôle des tribunaux, la police est chargée de le faire appliquer. Sans respect de ces lois, on ne peut pas vivre en société, la démocratie est impossible et la liberté est en danger. Mais qu’est-ce qu’on voit au Sénégal ? L’indiscipline et un sentiment d’impunité. Certains commettent des délits et ne sont pas poursuivis et d’autres sont mis en prison pour de petits délits. Il y a un dangereux sentiment d’injustice qui plane sur notre société : certains haut-placés sont intouchables alors que d’autres subissent l’acharnement des tribunaux. Un autre élément important est que c’est à l’État d’organiser et de respecter en premier la justice. Cela signifie utiliser les deniers publics pour mettre à la disposition des citoyens tout ce dont ils ont besoin pour atteindre leur épanouissement : que ceux qui veulent étudier trouvent des établissements stables et excellents pour le faire dans de bonnes conditions, que ceux qui veulent se soigner trouvent des hôpitaux accessibles et équipés, que ceux qui veulent manger trouvent des produits conformes à leur pouvoir d’achat, ceux qui veulent de l’électricité ou de l’eau voient leurs besoins satisfaits. Voilà le rôle premier de l’Etat, selon la conception de l’Eglise : organiser la justice pour que chacun ait ce qui lui faut et non distribuer du riz, du sucre ou donner de l’argent aux gens. Il faudrait que nos gouvernants aient ce haut sentiment de justice et se dévouent à créer des conditions d’une bonne implantation de la justice dans le pays. Qu’ils soient les premiers à donner l’exemple en travaillant pour le bien-être des populations, en sanctionnant ceux qui ont commis des malversations sans exception et ayant une bonne culture de reddition des comptes. S’ils sont rigoureux et justes dans leur manière de gouverner, les populations suivront.

Puis la liberté : comme la justice, la liberté a également plusieurs définitions. Mais en ce qui nous concerne, elle désigne la possibilité, le pouvoir d’agir sans contrainte, l’autonomie. On peut généralement dire que, en comparaison d’autres pays, le Sénégal est un pays de liberté. Mais que cela ne soit pas un prétexte pour faire tout ce qu’on veut. Ce n’est pas de la liberté mais de la licence ou du laxisme. La vraie liberté consiste à faire le bien, à faire ce pourquoi on est destiné. Par exemple le poisson est libre lorsqu’il nage. S’il se dit : « non je ne veux plus nager mais voler », est-ce de la liberté ? Non c’est du caprice qui peut le conduire à la mort. De même, le Sénégalais ne sera vraiment libre que s’il fait le bien, s’il accomplit son devoir. Le travailleur n’est libre que s’il fait bien et correctement son travail, l’étudiant n’est libre que s’il travaille bien en classe et chez lui.

Enfin la vérité et l’honnêteté c’est-à-dire le fait de ne pas mentir, voler, tricher, tromper les autres. Au Sénégal, force est de reconnaître que nous avons un réel problème avec la vérité. Il y a une banalisation du mensonge et de la tricherie et certains même s’en vantent lorsqu’ils trichent ou trompent quelqu’un en disant : jaar na ci kaw am ! Que de promesses non tenues, que de rendez-vous faussés ! Lorsqu’on parle de l’heure sénégalaise, on sait tous ce que cela signifie. Un pays ne peut se développer que dans la vérité et l’honnêteté. L’honnêteté est l’une des valeurs les plus libératrices qu’un peuple puisse avoir. Une société qui a réussi à transformer cette valeur en réflexe humain est sans doute dans un état de développement supérieur. Et cela se fait grâce à l’éducation en famille, à l’école et dans la société. C’est un roc sur lequel un pays peut bâtir solidement son émergence. La vérité et l’honnêteté englobent presque toutes les autres valeurs : si on est vrai et honnête, on va être juste, on va respecter le bien commun et les autres personnes, on va bien utiliser sa liberté et bien faire son travail, on ne va pas détourner les biens publics…c’est une valeur capitale pour le développement d’une nation.

Chers invités, membres du personnel, parents et étudiants, nous aurions pu développer encore d’autres valeurs comme la solidarité, la paix, l’amour, la tolérance (je n’aime pas beaucoup cette valeur : tolérer quelque chose c’est ne pas l’accepter tout à fait), mais le temps qui nous était imparti aurait été largement dépassé. En tout cas, ces valeurs que sont le respect, la justice, la liberté et la vérité, si elles sont vécues, feront émerger d’autres valeurs comme la paix (le Pape Paul VI disait que « la justice est le nouveau nom de la paix ». Sans justice, il n’y a pas de paix possible), la réconciliation, la solidarité et contribuer au développement du pays. Le Sénégal ne manque pas de compétences dans tous les domaines et il jouit d’une bonne stabilité politique et sociale. Qu’est-ce qui fait alors qu’il a du mal à se développer alors qu’il a tous les atouts extérieurs en main ? Eh bien ce sont les atouts intérieurs que sont les valeurs, car ce ne sont pas d’abord les matières premières ou l’argent qui développent un pays mais des hommes et des femmes de cœur, remplis de valeurs, disciplinés et rigoureux. Bref, c’est d’un vrai changement de mentalité qu’il s’agit. Ces valeurs vont, sans conteste, contribuer à l’unité du pays et mettre dans le cœur de tous les citoyens l’abnégation et la volonté de travailler pour la stabilité, la qualité de la gouvernance et faire advenir un Sénégal émergent. Nous faisons de ces valeurs notre credo ici à l’ISAE pour faire de vous, chers étudiants, des hommes et des femmes remplis de savoir-faire mais aussi et surtout de savoir-être.

Je vous remercie de votre attention.

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