Mon précédent article sur chrétien et initiation traditionnelle avait suscité beaucoup de réactions et un débat que j’ai trouvé intéressant. Je reviens y donner suite pour mieux éclairer mon propos.
Il convient de rappeler que cette question n’est pas une préoccupation personnelle, mais plutôt celle d’une église : celle de Ziguinchor. Le synode du diocèse de Ziguinchor tenu entre 2017 et 2018 dit ceci : « l’initiation traditionnelle est une étape de la vie très importante dans plusieurs cultures de l’espace pastoral du diocèse. Elle concerne plusieurs ethnies qui la considèrent comme un rite de passage à l’âge adulte. Beaucoup de chrétiens y participent, ce qui nécessite de leur part un bon discernement. Une équipe composée de pasteurs et de chrétiens initiés les aidera à vivre chrétiennement cette étape si importante de la vie : prières chrétiennes durant toute la période de l’initiation ; conférences interactives sur les bienfaits de l’initiation traditionnelle ; tout en se préservant de tout culte animiste et en respectant ce qui doit être de l’ordre du secret pour les initiés. Seul ce dialogue peut permettre d’enraciner progressivement les valeurs de l’initiation traditionnelle à la foi chrétienne ». (Cahier du synode pp. 21-22.
L’initiative prise pour Nyassia va donc dans la droite ligne des orientations du synode de Ziguinchor. C’est aussi la première fois que l’église de Ziguinchor s’investit de manière aussi officielle dans une initiation. L’évêque a été à Nyassia le vendredi 16 juillet 2021 pour une réunion préparatoire avec les responsables chrétiens. Il a été le dimanche 22 août 2021 dire une messe à la paroisse de Nyassia et visiter ensuite les initiés en zone initiatique.
Avant cela, durant l’année, le curé de la Paroisse de Nyassia abbé Athanase Bassène avait accompagné, dans la prière et la visite des sites initiatiques chrétiens, ses paroissiens. Le mercredi 22 septembre dernier, c’est l’abbé Edmond Edouard Sagna, vicaire épiscopal chargé du temporel et assurant par ailleurs l’intérim de l’évêque absent qui a dit la messe d’action de grâce à l’occasion de la sortie d’initiation.
Voici l’homélie prononcée par l’abbé Edmond.
MESSE D’ACTION DE GRACE POUR LA SORTIE DU BUKUT DU BAYOTE
HOMELIE
Chers initiés,
Frères et sœurs,
Dans l’Eglise on parle d’initiation avec les sacrements de l’initiation chrétienne que sont le Baptême, l’eucharistie (la communion) et la Confirmation.
Le baptême nous fait naître à la nouvelle vie d’enfant de Dieu en nous configurant au Christ Prêtre, Prophète et Roi. Il nous constitue membre de son Corps qu’est l’Eglise.
Le baptisé ayant grandi, vient le temps de la communion qui nous unit davantage au Christ et assure notre croissance spirituelle. Les anthropologues disent que manger un aliment, c’est s’approprier sa force vitale. Par la communion au Corps et au Sang du Christ, nous nous approprions donc la force vitale du Christ Ressuscité et nous croissons en Lui.
Enfin la confirmation vient renforcer dans l’âme les dons du Saint Esprit reçus au baptême. Par ce sacrement, le chrétien est reconnu responsable à part entière de la vie de l’Eglise et de la mission, membre actif de la communauté. Il est rendu compétent et responsable pour que l’Evangile soit présent au milieu des hommes de son temps. C’est pourquoi la signifiance de ce sacrement voudrait que les confirmés assument tout de suite des responsabilités effectives dans la vie de l’Eglise. C’est le sacrement de la maturité chrétienne.
Vous, chers initiés qui êtes dans cette église vous êtes tous baptisés. Mis à part les tous petits, vous avez reçu la communion et vous êtes confirmés. Vous avez donc fait l’initiation chrétienne. Et là vous venez de vivre une autre initiation, celle des traditions de nos terroirs. Une initiation qui vous enracine dans votre culture, qui fait aussi de vous des adultes dans la société et vous appelle à des responsabilités et à des engagements.
Quand on met ces deux initiations ensembles, vous êtres riches de beaucoup de trésors. Riches de votre foi avec ses traditions et ses coutumes. Riches en même temps de votre culture avec ses traditions et ses coutumes. Au terme vous êtes riches d’une foi inculturée, bien assumée dans une culture précise et bien connue.
Ici foi et culture se rencontrent. Cette rencontre est un défi qu’il faut affronter lucidement. Non pas dans le sens d’un conflit ou d’une concurrence, mais dans la réflexion, le respect, le discernement, le dialogue et la prière. Il faut arriver à faire en sorte que foi et culture se rencontrent, mais aussi s’embrassent. C’est ainsi qu’on pourra tirer notre trésor du neuf et dans l’ancien, comme dit Jésus au sujet du scribe devenu disciple.
Ayant vécu l’expérience de l’initiation dans le respect de la pureté de votre foi chrétienne et des valeurs de l’évangile, mais aussi dans le respect des traditions de votre peuple avec toutes leurs richesses, vous vous êtes surement rendu compte que beaucoup de débats sont inutiles. Ce qui est vraiment utile, c’est la connaissance et le témoignage. Celui qui a vu rend témoignage et son témoigne est vrai. L’ignorance pousse certains à une campagne de diabolisation de la tradition du Bukut. Celui qui est dans l’ignorance ne peut pas juger. Il faut respecter nos traditions. Et pour mieux les respecter il faut les connaître de l’intérieur. Le Christ est venu à la rencontre de tous les hommes et de toutes cultures. Alors on ne doit rater aucune occasion d’imprégner d’évangile nos cultures.
Chers initiés, il est providentiel que nous méditions aujourd’hui, dans les circonstances de sortie de Bukut, l’évangile de l’envoi en mission des douze apôtres. Au sortir de votre initiation, vous êtes dans cette église devant Jésus comme les apôtres dans l’évangile que nous venons de proclamer.
Dans cet évangile Jésus invite les apôtres à entrer en mission sans lui. Après tout un temps d’apprentissage et de discernement ils vont se lancer. Cette étape qu’ont vécue les apôtres se présente à vous aujourd’hui au terme d’une retraite de plus d’un mois. Vous sortez d’une école extraordinaire de la vie où Jésus vous a rejoint. L’heure est au témoignage maintenant dans votre terroir.
Dans les consignes qu’il donne pour la mission Jésus insiste plus sur les attitudes à incarner que sur le message à transmettre. C’est dire qu’il attend de vous des comportements concrets, édifiants et pétris des valeurs de l’Evangile. Lorsqu’il disait à ses disciples comment être sel de la terre et lumière du monde, il déclarait : Que brille votre lumière devant les hommes pour qu’ils voient vos bonnes actions et glorifient votre Père qui dans les cieux. Le Pape Paul VI disait que : L’homme contemporain écoute plus volontiers les témoins que les maîtres. Autrement dit, il croit plus à la vie vécue dans le Christ qu’aux théories. Il croit plus aux comportements concrets et aux œuvres qu’aux principes et aux formules.
Comme les apôtres votre état d’âme au moment d’aller en mission est sûrement partagé entre la fierté et l’appréhension. N’ayez pas peur. Jésus vous assure tous les moyens de la mission par son Esprit Saint : l’Avocat, le Défenseur, le Paraclet. L’Esprit est aussi le « Souffleur ». Non pas parce qu’il souffle du vent, mais parce qu’il vous souffle ce qu’il faut dire, ce qu’il faut être et ce qu’il faut faire. Dans le théâtre ancien, il y avait toujours derrière le rideau un « souffleur », quelqu’un pour souffler discrètement à l’acteur ce qu’il faut dire, pour l’aider. Au tribunal, avant l’audience, l’avocat peut « souffler » à son client ce qu’il faut dire. Aujourd’hui, dans le football, avec son oreillette, l’arbitre central entend le quatrième arbitre lui « souffler » une faute qu’il n’a pas vue. L’Esprit Saint joue exactement ce même rôle pour vous sur le terrain de la mission. Par contre, il va falloir le prier et l’invoquer beaucoup pour s’habituer à son langage, pour l’entendre et le comprendre.
De nos jours, il est beaucoup question de retour aux sources. De quelles sources s’agit-il ? Il est bon de rappeler simplement que l’Eglise aussi a ses sources, ses coutumes, ses traditions et ses pratiques qu’elle tire de l’enseignement de Jésus-Christ Fils de Dieu et de l’expérience spirituelle de générations de chrétiens. Nos sociétés aussi ont leurs sources. Pour nous chrétiens, le retour aux sources doit faire l’objet d’un discernement profond pour ne pas tomber dans de l’amalgame. Les traditions de nos peuples, nous les recevons non pas comme un fardeau ou un paquet « in interrogeable », mais comme un précieux cadeau, un trésor ouvert que nous pouvons continuellement interroger, adapter, renouveler. L’Evangile interroge forcément toutes les cultures.
Félicitations pour ce que vous avez vécu en vous appuyant sur votre foi chrétienne et ses valeurs, et qui va finir par devenir une tradition de notre église diocésaine.
Bon vent dans votre nouvelle vie d’adultes et de témoins du Christ !
Abbé Edmond Edouard Sagna
Je remercie vivement l’abbé Edmond qui m’a autorisé à partager avec vous sa méditation. Nyassia devient donc pour le diocèse de Ziguinchor une première étape dans une véritable réflexion en profondeur du lien à établir entre foi et culture en contexte casamançais.
Abbé Jean-Baptiste Valter Manga

Merci, M. L’ Abbé pour votre nouvelle intervention sur la question de l’initiation traditionnelle, le BUKUT.
En mon avis , nulle n’a le droit de condamner le choix personnel des certains fidèles chrétiens de se rendre aux bois sacrés. Ça était toujours un choix personnel.
» Tu ne jugeras point »
Cependant, force est de reconnaître que ette pratique a été et restera toujours une source de division profonde de la communauté chrétienne.
Deux camps s’opposent; les anti et les pro!
Cela a suscité en mon niveau beaucoup des interrogations sans réponses.
1- Pourquoi cette profonde division ?
2- Qu’est-ce qui se cachent derrière cette pratique pour qu’ elle suscite autant de division de la communauté chrétienne?
2- Pourquoi les uns y vont et les autres n’y vont pas ?
5- Qu’est-ce que cette initiation apporte à la communauté chrétienne ?
6- Pourquoi l’église n’introduirait pas cette pratique dans la formation de ses fidèles, si elle jugerait utile et nécessaire à la foi chrétienne et à la vie de notre église?
7- Pourquoi l’église ne participerait pas aux d’autres d’initiations comme celle des femmes du bois sacré « Ehugnia » ?
8- Qu’est ce que le Bukut aux yeux de l’église ?
9- Que risquent les fidèles ayant participé à cette initiation dans la vie future ?
10- Quelle position l’église devrait elle avoir vis à vis de cette initiation? La neutralité ou la participation ?
A mon humble avis , je pense que le travail de l’église sur cette question n’a pas donné les résultats escomptés. La division est toujours là et elle est encore plus profonde.
Aux yeux des certains fidèles catholiques, c’est le Clergé qui serait maintenant le « Promoteur » de cette pratique male vue certains. Ont ils raisons ou pas ?
De toute façon, l’Eglise de Jésus Christ a le devoir de se rendre partout pour proclamer la bonne nouvelle à tous les peuples et surtout d’apporter une assistance spirutuelle, morale et charismatique à ses fidèles.
Quand? Où ? Comment elle doit le faire?
En tout temps, en tout lieu et de manière inclusive et transparente!
Ubi Christus transit
Ibi tenebrae decident
Ibi lux lucet.
Et populus vivere in lumine!
Que Dieux bénisse son peuple à jamais !
Paix et Joie !
Lucien DIATTA
Merci Lucien pour cette pertinente intervention. Il y a beaucoup d’interrogations auxquelles malheureusement nos pasteurs ne répondent pas ou répondent de manière peu convaincante. Dans leurs réponses j’ai du mal à distinguer la parole du pasteur de l’église de la parole du diola initié et qui cherche à se justifier. Du coup les fidèles sont livrés à eux mêmes. L’église de Ziguinchor ne doit pas fuir le débat en diabolisant à son tour ceux qui sont contre cette pratique à travers le mot qui revient tout le temps « ils ne sont pas enseignés ». Même dans le rang des prêtres certains ne sont pas d’accords avec la question. Donc ce n’est pas une question d’analphabetisme spirituel. La question doit être posée sur la place publique car chaque fidèle a le droit d’exprimer sa position.
Si le synode précise que l’initiation est un rite et qu’il est nécessaire d’accompagner les chrétiens pour leur éviter tout culte animiste et préservé ce qui est de l’ordre du secret, c’est qu’à mon avis le synode reconnaît qu’il y a une part lié au culte. Alors Si certains prêtres veulent se justifier en cadrant le bukut dans le cadre purement culturel, il y a problème.
Aujourd’hui l’action de l’église de Ziguinchor à travers le bukut à ouvert une grande porte qu’il sera difficile de refermer. Que dire aux manjaques, aux mancagnes, aux balantes et autres peuples qui composent l’église de ziguinchor et qui croient que certains rites relèvent de la culture?
Que le St Esprit guide le peuple que Jésus s’est acquis au prix de la croix.